mardi 3 novembre 2009

Vinyl "Le Chant du Monde": rarissime.


Grâce à un correspondant et ami des USA, James Whiting, nous sommes en mesure de publier cet article pour éclairer le sujet d'un vieux disque français, "Rythmes de Cuba, Le Chant du Monde, par l'Ensemble National de Danse de Cuba" (LDS 4218).
Nous avions déjà évoqué ce disque dans l'article "Discographie" sur notre blog sur le Conjunto Folklórico Nacional.

James - que nous ne remercierons jamais assez - a fait des pieds et des mains pour nous permettre enfin de partager cet album rarissime avec les internautes. Vous pourrez le télécharger au format mp3 et Aiff en cliquant ICI.
(Si le lien ne fonctionne pas, n'hésitez pas à nous le signaler!! - Nous devrons re-contacter James pour qu'il le renouvelle…).
Pour cela, il a dû nettoyer le disque et le numériser, en essayant d'en ôter légèrement les bruits de fonds pour lui conserver une qualité sonore optimale. Il nous a même envoyé une photo du vinyl sur sa platine:


À propos du contenu du disque:

Il ne s'agit pas d'un disque fabuleux du point de vue musical, mais d'un document rare présentant l'intérêt d'entendre chanter à la fois Jesús Pérez, José (ou Eugenio?) de la Rosa et Nieves Fresneda.
Il ne s'agit probablement pas d'un enregistrement du Conjunto Folklórico Nacional mais plutôt du Teatro y Danza Nacional qui existait avant 1962. L'enregistrement est "live" et on y trouve le programme suivant:

Face A -
1a) "Chants pour Eleggua" (Che bá, che bá, akpwón José de la Rosa)
1b) "Toques de Tambours Batas" (Alaró)
2) "Chant Abakuá" (Moruá Jesús Pérez)
Plusieurs remarques particulières ici:
-les tambours sont manifestement des congas, et le toque est très étrange, avec une cloche semblable à celle du güiro havanais.
-Jesús Pérez chante au début les parties du soliste et du choeur à lui tout seul.
-Des femmes chantent dans le choeur.
Ne s'agirait-il pas là plutôt d'une sorte de rumba? Jamais plus par la suite on n'entendra d'ensemble national jouer la musique abakuá avec autant d'approximation…
3) "Chant pour Yemayá" (Akpwona Nieves Fresneda, toques Ñongo, Iyesá, Güiro instrumental, Rezo a Ochún, Idde Were).

Face B -
4) "Mamá no Quiere, Conga", sans grand intérêt, et au texte pour le moins équivoque: "Mamá no Quiere que yo Juegue a la Pelota" (sic).
5d) "Chant des Ibeyes" (akpwón José de la Rosa).
5e) "Chant à Ochún" (akpwón José de la Rosa, Iyesá).
6) un "tableau" sans grand intérêt sans la danse, intitulé
"La Rembambaramba" (en fait une conga) dont les sous-parties sont mal intitulées, car dans le désordre:
6a) "Mamita, Mamita, Yen, Yen, Yen" (choeur que dans cet enregistrement l'on n'entend… jamais!)
6b) "Okere Iyabo"
6c) "Allá, Tumbadores"
La seconde partie est elle aussi abakuá (Allá Tumbadores), jouée da la même façon que sur la face A, mais avec une cloche beaucoup plus appropriée. Sans doute ce tableau met-il en scène une procession ancienne de carnaval, et l'on entend résonner tout le long des enkanima d'íremes abakuá.

Nous tirerons de l'écoute attentive de ce disque plusieurs éléments intéressants:

-Jesús Pérez est annoncé comme chanteur du second morceau (abakuá). Si on le compare avec le chanteur du disque "Afro-tambores Batá de Giraldo Rodríguez, longuement évoqué sur nos blogs, on constate qu'il s'agit bien du même chanteur, auquel cas le doute n'est plus permis: le chanteur sur "Afro-tambores Batá" est bien Jesús Pérez.

-À propos de José de la Rosa.
Nous avons déjà évoqué ce problème: l'un des plus grands akpwones de Cuba, de "l'ancienne époque", se nommait Eugenio de la Rosa, surnommé - nous a dit Lázaro Pedroso - "El Yerbero", car il vendait des herbes médicinales. Il chante dans ce qui restera comme le premier disque de musique yoruba de Cuba: Santero (Panart 1414, 1947). Sa voix, très particulière, et sa façon de chanter ont sans aucun doute influencé une akpwón beaucoup plus connu: Lázaro Ros.
Dans le film de 1962 "Historia de un Ballet" dont nous avons publié des extraits à la fois sur Youtube et sur Echuaye, on voit chanter l'akpwón ci-dessous:


Ce chanteur est présenté dans le film comme "José de la Rosa El Carpintero". La voix est la même que dans le disque "Santero" mais l'homme paraît en 1962 un peu trop jeune pour avoir déjà chanté dans 'Santero' en 1947, soit 15 ans auparavant.
Par contre, on nous a désigné le musicien ci-dessous:


comme étant "Eugenio de Jesús María, hijo de Obatalá". Il s'agit-là d'une photo rassemblant les différents participants aux conférences de Fernando Ortiz dans les années 1940. Le personnage souriant situé juste derrière lui ressemble fortement à notre José de la Rosa du film. Bien évidemment, il s'agit de supputations, mais il pourrait s'agir-là de frères de la Rosa, Eugenio et José, car la différence d'âge entre les deux ne paraît pas suffisante pour que l'on puisse supposer que l'un fut le père de l'autre.
Les deux noms, José de la Rosa et Eugenio de la Rosa, sont mentionnés dans les divers programmes du Teatro y Danza Nacional que nous avons pu trouver, mais jamais nulle part au Conjunto Folklórico Nacional. Ce fait tendrait à prouver deux choses:
1° il s'agit bien ici d'un disque du TNC et non du CFNC.
2° soit il existe deux frères de la Rosa, soit on a confondu plusieurs fois leurs noms et leurs surnoms, ce qui semble improbable. Bien sûr, nous avons envoyé plusieurs mails à Cuba à qui de droit pour éclaircir ce "mystère de la Rosa" et nous attendons des réponses…
Voici une autre photo des conférences d'Ortiz, où, derrière Merceditas Valdés et les joueurs de tambours (iyá: Raúl Díaz "Nasakó" et itótele: Giraldo Rodríguez), il semble bien qu'on ait à nouveau nos deux chanteurs, derrière le mayorcero:


(17 décembre 2009)
En ce jour de la San Lázaro, nous sommes en mesure d'apporter des réponses à la question polémique à propos de José ou Eugenio de la Rosa. Nous avons en effet reçu une réponse d'El Goyo (Gregorio Hernández) qui nous dit que:

"En la película Historia de un Ballet, al que se ve cantando es Eugenio de la Rosa. En esa película, el narrador se equivoca al llamar a Eugenio "José" y al detallar los tambores. No creo que Lázaro Ross imitará a Eugenio: Lázaro tenía el mismo timbre cuando cantaba y cuando hablaba, lo que no ocurre con los imitadores, cantan con la voz que imitan y hablan con la suya propia. Ninguna de las personas consultadas por mi conocen a José de la Rosa, por lo que todo parece indicar que Eugenio y José, son la misma persona. Tu llamas José de la Rosa al cantante de la película Historia de un Ballet, porque así lo llama el narrador de dicha película y eso mismo le paso al que hizo las notas musicológicas de la colección francesa Le Chant du Monde, y fíjate que es el mismo conjunto de la película Historia de un Ballet: Danza Nacional de Cuba.
El disco de 1960 que te envió el americano, tiene que ser de Danza Nacional pues el Folklórico Nacional se fundó el 7 de Mayo de 1962."

Soit:
"Dans le film Historia de un Ballet, celui que l'on voit chanter est Eugenio de la Rosa. Dans ce film le narrateur se trompe à la fois en nommant Eugenio "José" et en citant le nom des tambours batá (il confond en effet itótele et okónkolo). Je ne pense pas que Lázaro Ross imite Eugenio: Lázaro avait le même timbre de voix quand il parlait que quand il chantait, ce qui n'arrive pas chez les imitateurs, qui utilisent la voix qu'ils imitent en chantant mais bien leur véritable timbre de voix en parlant. Aucune des personnes que j'ai consultées ne connaisent José de la Rosa. Tu le nommes ainsi car c'est le nom qu'utilise le narrateur dans le film, et il est arrivé la même chose à celui qui a écrit les notes du vinyl français Le Chant du Monde, mais tu dois savoir qu'il s'agit du même ensemble (dans le film et dans le disque); Danza Nacional de Cuba. Le vinyl que t'a envoyé cet Américain est obligatoirement de Danza Nacional, puisque le Folklórico Nacional a été fondé le 7 mai 1962."

Les argument de Goyo nous paraisssent tout à fait logiques et bien-fondés et nous le remercions (encore une fois) d'avoir donné son avis sur la question et aidé à dissiper nos doutes.

jeudi 2 juillet 2009

Martha Galarraga menacée d'expulsion par l'État français: un absurde scandale culturel…


Martha Galarraga n'est pas une artiste anodine: elle est la fille de Lázaro Galarraga, un des plus grands akpwones de Cuba, reconnu (lui) comme un artiste majeur aux USA.
Au vu de sa carrière et de son talent, Martha est l'une des plus illustres chanteuses afro-cubaines, avec Amelita Pedroso, Caridad La Bembona et Teresa Polledo.
Martha est venue vivre en Europe en 1998, tout d'abord en Allemagne, où elle a obtenu sans aucune difficulté un permis de séjour permanent. Elle est ensuite arrivée à Paris en 2002, et n'a eu aucun problème jusqu'en juillet 2008.
La Préfecture de Paris transmet alors son dossier pour enquête à la DDTEFP (Direction Départementale du Travail, de l'Emploi et de la Formation Professionnelle), qui dépend du Ministère du Travail, des Relations sociales, de la Famille, de Solidarité (quel joli mot!!) et de la Ville.
Le 29 septembre 2008 on lui refuse le renouvellement de son permis de travail. La DDTEFP exige un contrat de travail de plus de trois mois chez un même employeur. Martha trouve un contrat (auprès de l'association Odduara, croyons-nous) garantissant 43 cachets sur 12 mois, que la DDTEFP refuse de valider. Elle met la barre plus haut, en exigeant un contrat de six mois minimum, que Matha fournit: nouveau refus. Quel fonctionnaire zêlé est assez obtu pour ignorer qu'un musicien en France n'obtient que très rarement d'une contrat de telle durée, à moins de travailler avec un artiste majeur ou une compagnie de théâtre ou de danse capable de tourner six mois d'affilée…??

"Le 26 mai dernier la carte de séjour de Martha a été saisie par le 6e bureau de la sous-direction des étrangers de la Préfecture de Paris. Martha n'a plus le droit de travailler".


Conséquences catastrophiques en cascade:
-1° Martha devient de fait un travailleur "sans papiers"
-2° Elle ne touche plus aucune indemnité ni droits ASSEDIC
-3° Elle ne peut quitter le territoire français: adieu au London Lukumí Choir dont elle assume la direction.
-4° Elle perd tous ses emplois en France, dont son poste de professeur à l'ISAAC.
-5° Elle perd son travail avec l'Ensemble Nord-Sud lors de leur prochaine tournée au Brésil
-6° Elle doit attendre 1 à 2 ans une décision du Tribunal Administratif.
-7° Elle peut être expulsée à tout moment et renvoyée à Cuba: retour à la case départ.
-etc, etc…

De quoi Martha est-elle soupçonnée? Comment une personne aussi droite, saine, humaine, joviale et sérieuse comme elle peut-elle déplaire à ce point aux autorités (censées) compétentes?
Selon certaines sources Martha "changerait trop souvent d'employeur". On se demande bien quel délit ce fait pourrait bien constituer. Selon d'autres sources Martha "ne paierait pas assez de taxes" et "n'aurait pas une activité professionnelle suffisante".

De quel droit peut-on empêcher de manière aussi absurde la carrière internationale d'un artiste quel qu'il soit. Martha n'a aucun problème avec quiconque, et pas avec l'État cubain - est-elle accusée de communisme? Préfèrerait-on qu'elle demande l'asile politique? Martha ne veut pas d'un mariage de complaisance, ni de quelque autre "magouille" que ce soit pour obtenir un permis de séjour. Elle est une personne droite et honnête, fatiguée aujourd'hui de se débattre avec les absurdités d'une autorité qui a décidé d'en faire une hors-la-loi.

Martha n'a rien d'autre pour se défendre que des armes culturelles. Il faut donc que son cas fasse suffisamment scandale pour remonter jusqu'au nouveau Ministre de la Culture, Mr Frédéric Miterrand, qui seul désormais peut la sauver.
IL FAUT DONNER À SON CAS UN RETENTISSEMENT CONSIDÉRABLE.
Journalistes, écrivains, scientifiques: à vos plumes!! L'avocate de Martha a besoin de matière médiatique pour étayer sa défense.
Rappelons également qu'un pétition de soutien ayant rassemblé 1300 signatures n'a pas fait vaciller une seule seconde l'institution.

(Martha avec Mark Lotz en Hollande)

Tentons maintenant de répondre brièvement à l'argument:
"Martha Galarraga n'a pas d'activités professionnelles suffisantes":

-tapez "Martha Galarraga" dans le moteur de recherche de Youtube et vous obtiendrez 18 réponses. On y voit Martha dans de nombreux contextes (ce qui prouve qu'elle est une artiste polyvalente qui n'est pas enfermée dans un seul style musical), en France, à Cuba, au Mexique, à la Martinique…
-tapez également "Martica Galarraga" ou "London Lucumí Choir" (11 réponses), ou encore 'Galarumba".

-tapez "Martha Galarraga" dans Google et vous obtiendrez… 18 100 réponses!!
-essayez "recherche par image" et vous obtiendrez… 6 470 réponses.

Voici maintenant quelques éléments discographiques de la carrière de Martha: (il en existe bien d'autres)

(Cuba: Lázaro Ros - Olorun)


(Cuba: Oba-Ilú - Santeria)


(Cuba: Yoruba Andabo - Del Yoruba al Son)


(Cuba: Afrekete - Iyabakuá)

(Hollande: Mark Lotz - Cuban Fishes Make Good Dishes)


(Allemagne: Bayuba Cante - Cheba)


(Allemagne: Bayuba Cante - Orunmila's Dance)


(USA: Omar Sosa - Sentir)


(USA: Omar Sosa - Prietos)


(USA: John Santos - La Guerra No)


(France: Madomko - d'Ouest en Ouest)


SON CURRICULUM VITAE:

(Avec Bayuba Cante en Allemagne)

-Martha est née en 1969 dans le quartier de Luyanó à La Havane.
Elle est la Fille du grand chanteur et joueur de tambours Lázaro Galarraga, membre-fondateur du Conjunto Folklórico Nacional de Cuba, un des plus grands chanteurs de sa génération, dans le style Yoruba.
-En 1990, à l'âge de 21 ans, elle entre elle aussi au Conjunto Folklórico Nacional, où elle restera huit ans, comme danseuse, puis comme chanteuse-soliste.
-Parallèlement, elle officie dans les rituels yoruba à La Havane.
-À la fin des années 1990 elle vient vivre en Europe. Son départ de Cuba l’amène en Allemagne où elle va travailler à ses premières productions musicales, en collaboration étroite avec le conservatoire de Rotterdam tout en chantant dans un groupe de salsa « Macumbachè » à Frankfort. Elle vient ensuite vivre à Paris, où elle enseigne à l'ISAAC (Institut Supérieur des Arts Afro-Cubains).
-Elle entre dans le groupe d'Omar Sosa, un des artistes phares de la scène Latin-Jazz mondiale, avec qui elle chantera au Carneggie Hall. En 2000, sa rencontre avec Omar SOSA, que Martha ne cessera de qualifier de merveilleuse sur le plan musical et humain, l’amènera sur toutes les grandes scènes internationales : les USA, le Japon, le Maroc, Porto Rico, le Brésil pendant 4 années, entourée des plus grands musiciens à commencer par Omar SOSA lui même au piano et Gustavo OVALLES aux percussions.
-Elle forme son propre groupe en 2003: Martha y su Galarumba.
-Depuis qu'elle vit en Europe, Martha a animé de nombreux Masterclasses de chant et de danse en Allemagne, en Angleterre, en Hollande et en France.

(Avec le Conjunto Folklórico Nacional
extrait du film "In Cuba they're still Dancing")


(Avec Lucumí dans le film de Tony Gatlif)


(À La Havane avec Rumberos de Cuba)


(En Allemagne à Darmstadt)


(Toujours en Allemagne)


(Avec Bayuba Cante)

vendredi 5 juin 2009

Le Fonds Constantin Brailoiu et ses trésors

Melgarez et son güiro
(Foto: ©Isabel Castellanos)

Sur le site du Musée d'Ethnographie de Genève, les internautes ont, depuis un peu moins d'un an, accès au Fonds Constantin Brailoiu, qui contient des dizaines de documents sonores traditionnels du Monde entier.
Dans la catégorie "Cuba" un seul enregistrement est disponible, mais non des moindres: une partie du coffret original des prises de son réalisées sur le terrain en 1957 par Lydia Cabrera et Josefina Tarafa. Ayant déjà eu accès à ces documents, c'est en connaissant déjà une grande partie de ce répertoire que nous sommes allés visiter le site. Nous avions un à priori sur ces enregistrements: pour nous, ils contenaient énormément de matière rurale de Matanzas et Jovellanos, essentiellement du bembé et du güiro, voire des chants Congo et Ganga.
Nous nous sommes rendus compte que nous étions loin de connaître toute la partie havanaise des enregistrements de Cabrera.
Nous y avons découvert notamment un magnifique oro cantado havanais inédit, de près de 40 minutes, pour Ochún, différent de celui ré-édité par Smithsonian Folkways (référence HR1161-5/14-A1 et HR1161-5/14-B1).
Cet oro n'est pas le seul document contenant des batá: on y trouve ensuite un iyesá pour Yemayá doublé d'un beau traité "Ibo rere, ibo rere o" enchaînant sur le rezo a Yemayá (référence HR1161-5/14-B1, fin du fichier).
La qualité du son est remarquable, meilleure peut-être que dans les ré-éditions de la Smithsonian Folkways.

Melgarez et son güiro
(Foto: ©Pierre Verger)


En faisant une recherche par pays, on trouvera également d'innombrables trésors, du Monde entier (Bénin, Cameroun, Inde, Brésil, Europe, etc…)

Accédez à ce site en cliquant ICI

samedi 16 mai 2009

Une photo d'Andrés "Sublime" Roche ?

(La photo de Harold Courlander sur le site Fidelseyeglasses)

C'est une nouvelle fois sur le remarquable site de Mark Sanders:
(http://fidelseyeglasses.blogspot.com)
que nous avons trouvé cette incroyable photo ainsi créditée ainsi (d'après John Amira):
de gauche à droite,
-Pablo Roche Cañal "Okilakuá"
-Andrés Roche "Sublime" (le père de Pablo)
-Jesús Pérez Puentes

La photo provient du livret original du disque "Cult Music of Cuba" de la firme Smithsonian Folkways, mais d'une version ancienne du disque, à l'époque en 78 tours. Rappelons que l'on peut télécharger gratuitement tous les (magnifiques) livrets des disques Smithsonian Folkways (au format pdf) sur le site internet de cette firme. Cliquez ICI pour accéder aux disques concernant Cuba sur leur site et aux livrets téléchargeables.
C'est sur la page de l'album "Cult Music of Cuba" (Folkways FE 4410) ICI
que nous avons pu extraire la photo ci-dessous, légèrement différente de la précédente, provenant du livret de 1949, disponible au format pdf:

(Version légèrement différente de la précédente photo)


C'est l'anthropologue américain Harold Courlander qui aurait pris ces photos dans les années 1940. Celui-ci a enregistré l'intégralité du contenu du disque "Cult Music of Cuba". Il est difficile de dater précisément la photo de nos bataleros, même si l'on sait que Courlander a réalisé un voyage d'étude à Cuba en 1941. Ce premier voyage à Cuba n'aurait concerné que la région de Matanzas, dans laquelle on trouve - bien plus qu'à La Havane, des tambours batá utilisant des tirants en corde, comme c'est le cas sur la photo qui nous intéresse.
Il serait intéressant de savoir si l'essai de Courlander "Musical Instruments of Cuba" (qui semble ne jamais avoir été publié) contient ou non des photos de tambours batá, et particulièrement la photo qui nous intéresse ici.

John Amira affirme que le musicien de droite sur la photo est Jesús Pérez. La position caractéristique des jambes de celui-ci, que l'on retrouve sur d'autres photos, semble confirmer cette hypothèse.

(Jesús Pérez, années 1930)

Le visage de chérubin de Jesús Pérez jeune que l'on voit sur la photo d'Ortiz de 1937 n'est pourtant pas ici reconnaissable. La photo - s'il s'agit réellement de Jesús Pérez - doit être bien postérieure à 1941.

(Jesús Pérez, années 1950 et 1960)

Le front fuyant de Jesús Pérez mis en évidence sur ces nouvelles photos n'est pas là non-plus reconnaissable. Le musicien qui - à notre avis - sur la photo de Courlander ressemble le plus à Jesús Pérez est le musicien de gauche.

(Pablo Roche)

La bosse caractéristique sur le front de Pablo Roche, mise en évidence sur les photos ci-dessus, n'est pas non plus reconnaissable.
S'il est possible que Pablo Roche soit le musicien de gauche, ce qui semble étrange car Pablo Roche semblait plus grand, il est très étonnant que le musicien du centre soit son père, tant la différence d'âge entre les deux ne semble pas flagrante. Nous ne connaissons pas la date de naissance d'Andrés Sublime, mais si l'on peut supposer qu'il aît eu au moins 20 ans dans les années 1910, il serait sur cette photo âgé d'environ 60 ans, ce qui ne semble pas être l'âge du musicien central sur la photo de Courlander.
Notons que la position de jeu de ce mayorcero est pour le moins étrange, avec un tambour très décalé et désaxé vers la gauche. Même si 'on jouait moins fort' à cette époque et que l'amplitude des gestes était moindre, on peut supposer que la position serrée des musiciens soit due à la pose pour la photo, et non à une situation réelle de jeu.

Les tambours ont également une forme très particulière, et ressemblent à certains tambours vus dans "Los Instrumentos de la Música Afrocubana" de Fernando Ortiz. Il est possible que ces tambours à cordes (chose rare à La Havane à l'époque) proviennent de la collection personnelle d'Ortiz, et il est difficile de croire qu'on aît pris à cette époque des photos de tambours de fundamento 'en activité'.

(La même photo telle qu'elle apparaît sur le livret de la ré-édition du disque daté de 1949)

Pour identifier clairement ces musiciens il faudrait montrer ces photos à un musicien encore en vie ayant bien connu les supposés protagonistes à cette époque: Mario Jáuregui pourrait sans doute répondre à cette question.
Comme d'habitude, nous vous encourageons à nous faire part de vos commentaires sur cette question sans réponse, en cliquant sur l'option ci-dessous.

(1er juin 2009)
Nous remercions ici Ivor Miller et Daniel Chatelain, qui nous ont permis d'avoir connaissance du document d'Harold Courlander intitulé "Musical Instruments of Cuba". Dans la présentation de cet essai de 20 pages, Courlander nous dit lui-même que:
"Ces notes sur les instruments de musique cubains ont été écrites lors d'une expédition dont le but était de réaliser des enregistrements sonores - sponsorisée par l'American Council of Learned Societies et par l'Archive of Primitive Music de l'Université de Columbia - et fut principalement limitée à la province de Matanzas".
Ce document contient une seule photo où apparaissent des batá, que nous reproduisons ici:

(Foto: ©Harold Courlander)

Il s'agit bien évidemment d'un okónkolo, mais pas du même que sur la photo polémique. Par contre encore une fois sur cette nouvelle photo notre okónkolo (que Courlander nomme "Ikónkolo") fait usage de tendeurs en corde et non en cuir comme à La Havane.
Plus loin dans ces notes, Courlander mentionne un "cycle de 16 chants pour les oríshas, ou divinités, appelé un orú". Ce fait confirme, s'il en était encore besoin, qu'on est bien à Matanzas, et non à La Havane.
Par contre, quelques illustrations (en fait des dessins) figurant dans ces notes sont visiblement extraites d'ouvrages cubains (d'Ortiz ou d'autres), et du coup ce fait n'exclut pas l'origine havanaise de notre photo polémique.

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Daniel Chatelain et Ivor Miller nous ont permis d'avoir accès à trois documents de Harold Courlander et outre:
1°- "Musical Instruments of Cuba" (déjà décrit plus haut)
nous avons eu la possibilité de consulter:
2°- "Abakuá Meeting in Guanabacoa", originellement paru en octobre 1944 dans "The Journal of Negro History" (Vol.29, n°4)
et
3°- un extrait de "Resound, a Quarterly of the Archives of Traditionnal Music" (volume III n°4, octobre 1984), qui contient un article de Courlander nommé "Recording in Cuba in 1941".

Alberto "Alfredo" Zayas

Le second document nous prouve que Courlander a bel et bien séjourné à La Havane pendant son voyage de 1941. Son principal contact à Cuba était Fernando Ortiz, qui lui a présenté Alberto Zayas (qui enregistera en 1956 le premier disque de rumba de Cuba). Alberto Zayas est souvent appelé (ou s'est souvent fait appeler) "Alfredo" ou "Alfredito", comme dans le document de Courlander: nous avons fini par penser que c'était par recherche de prestige, car c'était le nom de l'un des présidents de la jeune république de Cuba. En tout cas nous pensons qu'il s'agit bien du même Alberto Zayas qui deviendra célèbre par la suite.
Courlander relate comment Zayas l'emmène dans une cérémonie abakuá (sans pour autant pénétrer dans le cuarto fambá).

Le troisième document nous en apprend encore plus, car il s'agit ni plus ni moins d'une sorte de carnet de voyage dans lequel Courlander raconte tous ses trajets à Cuba, toujours lors de cette expédition de 1941. Il y raconte toutes les péripéties vécues à Matanzas, Jovellanos et Pedro Betancourt, mais s'étend très peu sur son séjour à La Havane. Il nous y donne précisément la durée de son séjour à Cuba: quatre semaines. Il nous dit également:

"In Havana I had a number of meetings with Fernando Ortiz, after which he put me in the reliable care of Alfredo Zayas, a young man who was active in the Lucumí cult and a member of the Abakwá secret fraternity".
ce que nous traduirons ainsi:
" À La Havane j'ai eu plusieurs entrevues avec Fernando Ortiz, après quoi il m'a confié aux bons soins d'Alfredo Zayas, un jeune homme qui prenait part activement au culte lukumí et qui était membre de la fraternité secrète abakuá".

Si Courlander a eu plusieurs entrevues avec Ortiz et des relations de confiance avec Zayas, il est possible que l'un ou l'autre lui aît permis de prendre notre fameuse photo et d'enregistrer - c'était le but principal de son voyage - des musiques rituelles et notamment des tambours batá. Le problème est que si c'était réellement arrivé, pourquoi alors Courlander ne l'a-t'il jamais relaté?

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Pour compléter notre investigation nous allons maintenant nous attacher au contenu du disque 'Cult Music of Cuba", afin de vérifier s'il contient ou non des enregistrements de batá havanais et/ou matanceros.
L'article sur le site de la Smithsonian Folkways nous prévient bien que les enregistrements contenus dans le disque ont été réalisés "à La Havane, Guanabacoa, et Matanzas en 1940" (sic), tous par Harold Coulander.
Il nous faut tout d'abord tout au moins rectifier les erreurs contenues dans les titres des morceaux, en effet:

1- "Songs to Legba and Yemaya"
Le livret du disque nous dit que "parmis les Orisha invoqués (sont présents), Legba, Yemayá et Oko".
Il s'agit en fait de chants arará, et si le premier peut-être attribué à Yemayá, le second est un chant pour Asoyi. Le troisième est un chant pour Hebbioso, et le chanteur soliste doit chanter également le choeur, et a bien du mal à faire en sorte que l'unique choriste chante correctement la partie du choeur.

2- "Lucumi Song"
Les notes du site Folkways ajoutent: "Two Abakwa society male Lucumi singers with iya drum and atchere" (sic). Le livret du disque ajoute que cet enregistrement a été réalisé "non-loin de La Havane".
Il s'agit de chants pour Osáin. Comme dans le premier extrait, l'instrument décrit comme "atchere" est probablement un chékere.

3- "Song to Oricha Oko"
Ce chant rarissime est peut-être pour Changó. Peut-être s'agit-il de la femme nommée Salazar que Courlander a enregistré à son hôtel à Jovellanos, comme il le décrit dans "Recording in Cuba in 1941".

4- "Abakwa Song"
Cet enregistrement aurait été réalisé à Guanabacoa, sans doute pendant la cérémonie auquel Alberto Zayas a convié Courlander, comme il l'a décrit dans "Abakuá Meeting in Guanabacoa".

5- "Song to Orisha Chango"
Il s'agit en fait très clairement de chants et de tambours de Palo. D'où la confusion vient-elle? Sans doute de Courlander lui-même qui renchérit dans le livret du disque: "le chant, chanté partiellement en espagnol est pour l'Orisha Chango (…). La partie du choeur est constistuée essentiellement par les mots Buena Noche, Buena Noche".

6- "Abakwa Song"
À nouveau il s'agit de palo.

7- "Djuka Drums"
Pas de chant mais seulement des tambours dans cet enregistrement, effectivement sans doute de Yuka.

8- "Lucumi Drums"
Toque a Inle par trois tambours batá, peut-être ceux-là même qui figurent sur notre photo. Deux vires seulement, comme à Matanzas, mais il pourrait s'agir d'un toque havanais tronqué, ce qui est peu probable. Dans les notes accompagnant le disque Courlander fait référence à la photo en question.

9- "Djuka Song"
Il s'agit à nouveau de palo.

10- "Song to Chango"
Cette fois-ci il s'agit bien de chants et de batá pour Changó. L'extrait ne permet pas de juger s'il s'agit de style havanais ou matancero, mais nous pencherons pour l'option havanaise. Les voix du choeur ressemblent plus aux voix d'un groupe professionnel qu'à un choeur traditionnel.

11- "Song to Obatala"
Mêmes remarques que pour l'extrait précédent.

En conclusion, rien ne nous permet, malgré nos recherches, d'apporter des précisions sur la question posée au début de l'article. Seule une certitude permet de douter fortement de la présence des musiciens cités sur la photo: elle aurait bien été prise en 1941. Or sur les clichés de la fin des années 30 Jesús Pérez ne ressemblait pas du tout au musicien présent sur la photo.
Nous continuerons donc à douter fortement des affirmations de nos amis Mark Sanders et John Amira - sans vouloir en aucune manière dénigrer leurs compétences.

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Outre le débat et les recherches que nous effectuons à propos de notre photo-mystère, nous avons découvert dans "Musical Instruments of Cuba" de Courlander quatre autre photos étonnantes:

-1° un cajón-quinto pyramidal:

(Foto: ©Harold Courlander)


Même s'il n'est pyramidal que d'un seul côté, c'est quand même la première fois dans l'histoire qu'il est fait mention d'une telle forme pour un cajón, surtout à Matanzas et surtout… en 1941!!

-2° une mini-marímbula:

(Foto: ©Harold Courlander)


Si nous avons déjà vu des instruments d'une si petite taille ailleurs qu'à Cuba, et si nous avions déjà vu dans l'île de petites marímbulas (sur lesquelles il n'est pas possible de s'asseoir), c'est quand même la première fois, et encore une fois surtout à cette époque, que nous découvrons semblable instrument cubain.

-3° des chékere… de métal!

(Foto: ©Harold Courlander)


Les canelures sur le corps métallique des instruments font inévitablement penser à des boites de conserve. Ont-elles été chauffées, déformées puis assemblées? La similitude des fonctions (domestiques et rituelles) des deux éléments: calebasse et boite de conserve, devient frappante sinon amusante.
Il est incroyable qu'aucun ouvrage cubain (à notre connaissance) ne fasse mention de tels chékeres. À la lecture d'un document américain généreusement mis à notre disposition par Ivor Miller, "Resound, a Quarterly of the Archives of Traditionnal Music" (volume III n°4, octobre 1984), il apparaît que ces güiros métalliques ont été photographiés par Courlander lors d'une fête dans "la maison de la famille Salazar à Jovellanos". Il est probable que les documents sonores enregistrés par Courlander de ces güiros métalliques soient conservés dans quelque université américaine, mais ils ne figurent pas dans le disque "Cult Music of Cuba".